dilluns, 2 de febrer del 2009

transculturalisme (sería aquest el terme?)

La petite divorcée du Yémen

Symbole du combat contre les mariages forcés et précoces, Nojoud Ali, 10 ans, mariée de force par son père, a rencontré des lycéens de Pantin.

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ROZENN NICOLLE

Nojoud Ali peu après qu'une cour de justice yéménite a prononcé son divorce.

Nojoud Ali peu après qu'une cour de justice yéménite a prononcé son divorce. (Khaled Abdullah Ali Al Mahdi / Reuters)

Dix heures du matin, au lycée Lucie-Aubrac de Pantin (Seine-Saint-Denis). Dans une grande salle peu éclairée, 80 élèves attendent. Une petite fille s’avance d’un pas assuré vers son auditoire. Des voix s’élèvent. L’étonnement. Nojoud Ali a 10 ans seulement. Cette jeune fille, originaire de Khardji, dans le nord du Yémen, et installée avec sa famille à Sanaa, la capitale, s’est fait connaître en obtenant le divorce l’année dernière. Aujourd’hui, elle est en France, entourée de son traducteur et des membres de l’association Ni putes ni soumises (NPNS), qui l’ont invitée pour raconter son histoire, retracée dans un livre (1).

Quand, il y a quelques mois, son père lui a dit qu’elle allait devoir se marier, la fillette a refusé. Mais faute de pouvoir nourrir sa famille (deux femmes et quatorze enfants), l’homme a conclu un marché avec un trentenaire de son village, qui a pris Nojoud pour femme contre un petit pécule, une coutume plutôt courante au Yémen. Sans avoir une idée de ce que représente le mariage, Nojoud change de toit, de vie, puis découvre l’autre visage de celui qui avait promis d’être un époux protecteur. Aux questions sur sa nuit de noces, elle ne préfère pas répondre, pour ne pas se remémorer le triste scénario qui se reproduisait chaque soir de sa vie «maritale».

Tribunal. Pendant trois mois, elle a subi abus sexuels et maltraitance, cherchant en vain un recours auprès de sa famille qui «ne pouvait se permettre d’être déshonorée», selon les mots du pater familias. C’est alors que Nojoud se confie à la deuxième femme de son père, Dowla, qui lui laisse entendre que le tribunal est son seul recours. «Tribunal» : le mot fait son chemin dans la tête de la petite fille. Quelques jours plus tard, sa mère lui demande d’aller chercher du pain, lui tendant une poignée de pièces. C’est le moment ou jamais, pense Nojoud, qui décide de prendre le bus pour gagner le centre-ville de Sanaa. Perdue, elle appelle un taxi puis demande le «tribunal», où elle attendra plusieurs heures avant qu’on enregistre son étrange requête. «Je veux divorcer», demande-t-elle au juge. Abasourdi par cette demande sans précédent, le magistrat décide de la prendre sous son aile. Il consulte deux de ses confrères et ils conviennent que l’enfant ne peut pas retourner auprès de son mari, ni auprès de sa famille. Elle est finalement confiée à l’un des juges, Abdel Wahed, qui la gardera chez lui trois jours, le temps de placer le père et le mari en détention provisoire.

Icône. Un journaliste du Yemen Times, Hamed Thabet, relate les faits : Shada Nasser, une avocate sensible à cette cause, décide d’annuler tous ses rendez-vous pour se consacrer bénévolement à la défense de la jeune fille. Un procès s’ouvre contre les deux hommes à l’origine du pacte qui avait fait de Nojoud une mariée précoce. Le tribunal se laisse vite convaincre par Nojoud, qui finit par obtenir son divorce, quelques mois après la cérémonie de mariage.

Aujourd’hui, la fillette est devenue une icône de l’émancipation du système patriarcal au Yémen, où la parole de l’homme ne peut être remise en question. A 10 ans, la fillette a remis en cause une loi tribale ancestrale et les mœurs de sa société. Son histoire a fait le tour du monde, elle a même été élue femme de l’année 2008 avec son avocate par le magazine américain Glamour, aux côtés de Condoleezza Rice, Hillary Clinton ou Nicole Kidman.

Pendant son court séjour à Paris, Nojoud a rencontré Rama Yade (secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme), Fadela Amara (politique de la Ville, ancienne présidente de NPNS), Nadine Morano (Famille) et Valérie Létard (Solidarité). Mais sa rencontre avec des lycéens de banlieue lui tient à cœur. Les élèves présents ont tous entre 16 et 19 ans, la majorité d’entre eux ont des parents ou grands-parents d’origine étrangère, certains auraient même déjà été confrontés plus ou moins directement à la situation de Nojoud, selon la directrice de l’établissement.

«Et maintenant ?» lui demande un jeune homme. La voix fluette de Nojoud se fait entendre : «Maintenant, je veux retourner à l’école pour devenir avocate et aider les autres filles comme moi.» Applaudissements. Bien qu’intimidée, la petite fille sourit, laissant apparaître une pointe de fierté. Une heure aura suffi au lycée Aubrac pour décider à l’unanimité d’un partenariat avec l’école de la petite Yéménite afin d’aider toutes les filles de son école. «Il ne faut pas abandonner Nojoud à sa nouvelle situation, et il ne faut pas non plus oublier toutes les autres Nojoud à travers le monde», renchérit Sihem Habchi, la présidente de NPNS. «Là-bas, ses parents ne l’encouragent pas, il faut prendre conscience que chez elle, c’est une traîtresse», explique la secrétaire générale de l’association, Bouchera Azzouz.

Nojoud remercie une dernière fois. La fillette disparaît dans un nuage d’adultes qui la presse et l’emmène vers une berline noire aux vitres teintées. Les médias attendent. Ensuite ce sera l’Allemagne.

(1) Moi Nojoud, 10 ans, divorcée, de Nojoud Ali avec Delphine Minoui, éditions Michel Lafon.